Think Culture... Think Growth

FacebookTwitter

Med Culture is a Technical Assistance Unit funded by the European Union for the promotion of culture as vector of Human, Social and Economic Development in South Mediterranean countries. 
READ MORE ABOUT EU COOPERATION

Trouver une place pour la danse contemporaine au Caire

Trouver une place pour la danse contemporaine au Caire

Trouver une place pour la danse contemporaine au Caire

Après plusieurs années passées à étudier la chorégraphie et la danse contemporaine en Europe, Karima Mansour est rentrée chez elle au Caire en 1998 avec une envie irrésistible de faire connaître son art au public égyptien.

La danse contemporaine n’était pas très connue dans le pays à l’époque. À vrai dire, l’univers de la danse au sens large se limitait à deux compagnies et un corps de ballet, gérés par l’État. « C’était un vrai désert », avoue Mansour.

Mansour avait hâte de mettre en place un environnement propice à la danse contemporaine au Caire, c’est pourquoi elle a fondé la première compagnie de danse indépendante du pays, MAAT pour la Danse contemporaine. Mais elle a souvent dû lutter pour avoir la possibilité de donner des représentations dans un secteur de la culture dominé par l’État et géré par une bureaucratie ancrée dans ses traditions qui contrôlait l’accès à la scène.

En Égypte, les artistes indépendants « n’ont accès à aucune infrastructure gouvernementale : on ne peut ni utiliser les studios, ni donner de représentations dans les salles appartenant à l’État », affirme Mansour, qui a pratiqué la danse en Italie et a obtenu une licence et un master à la London Contemporary Dance School.

Le manque de lieux où donner des représentations n’était pas le seul défi à relever, puisque les artistes indépendants avaient également très peu accès aux studios, ce qui les empêchait de développer leur travail artistique.

« Il était très difficile de pratiquer la danse car nous n’avions nulle part où aller. Le simple fait de pouvoir se retrouver dans un studio pour s’y amuser et faire des essais était déjà très difficile », confie Mansour.

Par conséquent, la danseuse et chorégraphe de renom a créé la plupart de ses chorégraphies au cours de séjours à l’étranger, où elle avait accès aux installations dont elle avait besoin.

Suite à ces expériences, Mansour était persuadée que l’un des plus gros problèmes rencontrés par les danseurs contemporains en Égypte était le manque de locaux accessibles aux artistes indépendants.

Elle était donc convaincue de la « nécessité absolue » de développer un espace où toutes les personnes souhaitant danser « pourraient être formées, développer leurs compétences, pratiquer la danse dans de bonnes conditions, organiser des résidences d’artistes, réfléchir, effectuer des recherches ou encore mettre en place des ateliers », ajoute-t-elle.

Mansour savait également que si la danse contemporaine venait à se développer, les danseurs égyptiens devraient avoir un niveau de formation convenable. « En tant que chorégraphe, j’ai parfois été confrontée à un manque de danseurs », puisque ceux qui étaient disponibles disposaient parfois d’une formation au ballet, parfois en danse traditionnelle égyptienne, ou même d’aucune formation en danse.

« Quelquefois, alors que je chorégraphiais, j’avais l’impression qu’il ne s’agissait pas de ma seule activité et que j’étais à la fois en train de faire une chorégraphie et un atelier de formation », ajoute-t-elle.

« Tous ces éléments ont fait germer cette idée dans mon esprit. »

Nouvelle génération

Mansour a pu réaliser son rêve de créer un lieu accessible aux danseurs indépendants et une école pour les former après la révolution égyptienne de 2011, lorsqu’elle a fondé le Centre pour la danse contemporaine du Caire.

Les turbulences politiques issues de la révolution de 2011 avaient bouleversé la scène artistique au Caire et permis l’apparition d’un nouveau ministre de la Culture qui se montrait plus réceptif aux artistes indépendants.

En effet, le ministre Emad Abou-Ghazi a accepté que son ministère fournisse des locaux et finance le nouveau centre. L’objectif du centre était d’offrir une formation professionnelle à plein temps sur trois ans dans le domaine de la danse contemporaine afin de faire émerger une nouvelle génération de danseurs qualifiés.

Le centre a vu le jour en 2012 et le premier groupe d’élèves a commencé les cours. Mais la carrière de ministre d’Abou-Ghazi fut de courte durée et, après sa démission, Mansour a commencé à avoir le sentiment que le travail du centre était discrédité par des bureaucrates hostiles au sein du ministère.

Convaincue que l’indépendance était le seul moyen de sauvegarder les activités du centre, Mansour a réussi, avec l’aide de ses étudiants, à trouver de nouvelles sources de financement et à déplacer le centre dans de nouveaux locaux, s’émancipant ainsi complètement du ministère.

Fort de sa nouvelle indépendance, le centre pour la danse a accueilli son premier cours en janvier 2014 puis, en juin 2015, les étudiants de la première promotion ont terminé leurs études et obtenu leur diplôme.

« Il s’agit de la première génération de danseurs contemporains qualifiés de toute l’histoire de l’Égypte, mais aussi du premier groupe de la région à présenter une telle régularité », s’enthousiasme Mansour. « Un travail de qualité a été réalisé dans certains pays tels que le Maroc, le Liban ou la Tunisie, mais les programmes qui développés sont de moindre envergure ou consistent à faire appel à des artistes de passage dans la plupart des cas. Un tel programme n’existe nulle part ailleurs dans la région. »

Le centre a également permis au secteur de la danse contemporaine de s’épanouir en procurant aux artistes indépendants l’environnement imaginé par Mansour pour leur permettre de pratiquer la danse et de produire un travail de qualité.

Ces évolutions ont été accueillies avec grand enthousiasme par le public égyptien. « En raison de la surabondance d’événements organisés dans les pays occidentaux, le public y est devenu très difficile et sceptique », analyse-t-elle. « À l’inverse, nous n’avons pas ce type de problèmes ici, car tout n’est qu’une simple question de chiffres », ajoute-t-elle. « Si vous avez les moyens de faire de la publicité, le public sera forcément au rendez-vous. Les gens viennent par simple curiosité, parce qu’ils s’ennuient, parce qu’ils sont avides de nouveauté ou parce qu’ils suivent l’actualité artistique. »

Pour tenter de toucher de nouveaux publics, Mansour et le centre ont également participé à plusieurs initiatives destinées à faire venir l’art dans la rue, comme par exemple Stop and Dance, un projet mis en place par l’organisation Mahatat for Contemporary Art qui consistait à organiser des spectacles de danse dans le métro du Caire en 2012.

En février de la même année, Mansour et le centre ont collaboré avec Mahatat sur un projet similaire et ont donné des représentations dans les rues des villes de Damiette, Mansourah, Port-Saïd et le Caire. Ces représentations ont attiré un nombre considérable de spectateurs qui, d’après Mansour, étaient très enthousiastes, ont communiqué sans hésiter avec les danseurs et ont beaucoup apprécié les récits présentés par ces œuvres.

Pression politique et financière

Mansour souligne qu’en dépit de ces succès, le centre et le milieu de l’art indépendant en général continuent à être confrontés à des défis de taille, qu’ils soient habituels ou inédits.

L’un d’eux reste le problème de l’accès inégal à l’espace, en particulier les lieux de représentations. « Les seules scènes auxquelles peuvent accéder les artistes indépendants sont le Rawabet Theatre, le Factory Space et le Falaki Theatre, ce qui est très problématique car cela crée un monopole sur la scène indépendante. Toutes les autres salles de représentations sont des institutions gérées par l’État », relève-t-elle.

Mais selon la chorégraphe, le défi le plus important auxquels les artistes sont actuellement confrontés est le manque de financement, qui s’est accentué à cause du climat politique. « Nous traversons une véritable crise », affirme Mansour. « Si les choses ne s’arrangent pas vite, le centre devra fermer ».

Le gouvernement a commencé à faire entrer en vigueur des lois de plus en plus restrictives vis-à-vis du financement étranger des ONG, et plusieurs initiatives culturelles indépendantes ont été victimes de perquisitions ou ont pris fin. Mansour pense que l’État essaye d’« intimider » les artistes afin de reprendre le contrôle de la scène indépendante.

En raison de ce climat politique, les donateurs se montrent désormais « plus prudents, plus inquiets », déplore Mansour, ce qui complique encore plus la mise en place d’initiatives indépendantes.

Même si le centre propose des cours de danse au public, ces activités ne permettent pas de lever suffisamment de fonds pour combler les dépenses nécessaires au maintien des installations. En outre, les donateurs investissent souvent à court terme et sur des projets spécifiques, ce qui ne permet pas d’avoir une vision stratégique à long terme.

Mansour soutient que les artistes comme les donateurs doivent se montrer plus enclins à donner des représentations payantes. « Je pense que le lien qui existe entre les artistes et les initiatives artistiques d’un côté et les investisseurs de l’autre débouche sur une relation dangereuse de dépendance mutuelle où la nécessité d’obtenir un financement passe avant l’établissement de modèles économiques durables », explique-t-elle. «  L’art doit pouvoir durer dans le temps, c’est pourquoi nous devons convaincre les spectateurs qu’il est important de nous aider sur le plan financier. »

Compte tenu de ces risques, l’avenir du centre est loin d’être assuré, et Mansour estime que sa fermeture constituerait une immense perte pour le secteur de la danse. « Ce serait comme si nous revenions quinze ans en arrière », affirme-t-elle.

Néanmoins, Mansour reste fière de ce que le projet a permis d’accomplir jusqu’à présent : « Vingt étudiants très talentueux sont sortis diplômés du centre. En outre, trois ou quatre d’entre eux ont commencé à chorégraphier grâce à notre plateforme. »

« Nous leur avons donné les moyens de réussir. Désormais, c’est à eux de poursuivre leurs efforts et de progresser. »

Pour plus d’informations sur le Centre pour la danse contemporaine du Caire, veuillez cliquer ici

Contenu élaboré en collaboration avec Cineuropa