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Des films arabes en haut de l'affiche

Des films arabes en haut de l'affiche

Des films arabes en haut de l'affiche

Dans les annales de la Berlinale, on n'avait pas vu cela depuis vingt ans. Un film tunisien, et même arabe en général, en compétition pour l'Ours d'Or, cela n'était pas arrivé depuis 1996 et Un été à La Goulette de Férid Boughedir. Alors, quand en février, Hedi de Mohamed Ben Attia a pris sa suite, la nouvelle a fait grand bruit dans le monde du cinéma tunisien. Hedi, c'est un « personnage sans histoire », qui croise le chemin d'une fille dont il tombe amoureux, à quelques jours du mariage prévu avec une autre. Une histoire simple, universelle. Si Mohamed Ben Attia s'est dit surpris d'avoir été sélectionné à Berlin, sa productrice Lina Chabaane a cru au succès potentiel du film dès le début. Elle avait déjà produit les cinq premiers courts-métrages du réalisateur.

Autre pays, autre succès, le film Theeb de Naji Abu Nowar a été le premier film jordanien nommé aux Oscars. Il met en scène, en pleine première guerre mondiale, une histoire de vengeance et de survie en plein désert jordanien. Le prix de la mise en scène obtenu au festival de Venise dans la catégorie Orizzonti a permis au film de se faire repérer, selon George David, managing director de la Commission royale du film de Jordanie : « La nomination aux Oscars est en soi un triomphe et même si le film n'a pas gagné, cela a permis d'ouvrir une porte au cinéma jordanien », commente-t-il.

Ce que les films ont en commun ? Un long travail de préparation en amont du film. Pour prendre sa forme actuelle, Hedi est passé par l'atelier Sud Ecriture et a également reçu une bourse aux Journées cinématographiques de Carthage en 2015, pour la finition du film. Pour Tahar Chikhaoui, critique de cinéma, les films tunisiens connaissent un renouveau. Si le printemps concerne selon lui d'abord les documentaires, les œuvres de fiction ne sont pas en reste : « Les nouvelles fictions restent classiques, dans la tradition du cinéma tunisien, mais avec plus de professionnalisme : les projets sont plus ficelés », explique-t-il. « Hedi s'inscrit dans la continuité du cinéma tunisien, mais apporte quelque chose auquel on n'est pas habitué en Tunisie : le garçon est secret, il a des moments de silence, de retenue, qui peuvent impressionner. La manière de filmer est aussi beaucoup plus proche de la sensibilité d'aujourd'hui. » Une sobriété inspirée des frères Dardenne, coproducteurs du film. Une nouvelle approche, qui séduit de plus en plus le public, à l'instar du film A peine j'ouvre les yeux. Hedi a été qualifié de « double masculin » du film de Leyla Bouzid

Dans le cas de Theeb, le travail s'est concentré sur l'innovation dans le casting. Pour raconter l'histoire de la manière la plus réaliste possible, le réalisateur a choisi de travailler avec des acteurs non professionnels, principalement des Bédouins. Tous, sauf deux, sont donc novices face à la caméra. Certains n'avaient même jamais vu un film au cinéma de leur vie. Les acteurs en herbe ont suivi une formation de huit mois, après que le réalisateur et le scénariste ont passé plusieurs mois au milieu des Bédouins pour développer leur histoire. Pour Tahar Chikhaoui, Theeb parle « de la réalité, mais il épouse une forme universelle, et c'est ce qui a marché pour ce film. On y retrouve un mélange d'archaïsme, de culture régionale, et quelque chose de l'ordre cinématographique : c'est ingénieux ». Même volonté de parler au plus grand nombre, et au-delà des frontières, pour Hedi. Lina Chabaane commente : « Le film est sincère, il plaît à tout le monde, quel que soit le spectateur il émeut car il traite de la vie, de l'amour, et de l'évolution d'un personnage qui trouve tout à coup la force de dire non à un destin qui semblait tracé d'avance. » Deux histoires, deux pays, mais une recette pour le succès : un langage cinématographique perfectionné et une histoire universelle.

Le nombre de films produits est en constante augmentation dans les pays arabes. En Jordanie, entre 2007 et 2012, 17 longs métrages et 6 documentaires ont vu le jour. Une production, certes peu élevée mais souvent primée dans des festivals régionaux et internationaux. « Bien sûr, il  y a encore un long chemin à parcourir » admet George David. « La commission royale du film de Jordanie se soucie de développer de nouvelles capacités. » Pour cela, la commission a mis en place des programmes éducatifs et des ateliers pour les Jordaniens qui veulent percer dans le cinéma.

Bien au-delà des seules Tunisie et Jordanie, le cinéma arabe semble connaître un nouveau printemps. Nombreux sont les réalisateurs à prendre la caméra pour raconter leurs histoires eux-mêmes. Derrière eux, des systèmes de financement se sont mis en place depuis plusieurs années, principalement dans les pays du Golfe. Mohamed Bendjebbour est attaché audiovisuel régional, basé aux Emirats Arabes Unis. Il suit de près ce renouveau, avant tout économique. « Les pays du Golfe ont compris que le secteur cinématographique était un outil de diversification économique, c'est une manière pour eux de faire du soft power. Ils sont conscients de ne pas pouvoir devenir du jour au lendemain des nations cinématographiques, mais ils savent en revanche qu'en soutenant des cinémas d'autres pays arabes, ils vont pouvoir acquérir une certaine expertise, un savoir-faire dans le cadre de coproductions. » Aussi bien Theeb que Hedi ont reçu des aides financières d'institutions culturelles du Golfe. Le soutien n'est pas qu'économique, des ateliers de formation sont également organisés. « Il y a quelques années, il y a eu une prise de conscience sur la qualité des scénarios » ajoute Mohamed Bendjebbour. « On disait souvent que dans les pays du Levant et du Golfe, une des faiblesses était le scénario. Il y a eu un vrai travail fait là-dessus. » Un travail entrepris il y a quelques années, et qui commence aujourd'hui à porter ses fruits.

Pour Hedi et Theeb, leurs passages respectifs à Berlin et à Los Angeles n'ont été que le début du succès. Reste maintenant à convaincre commercialement. Theeb devrait être distribué dans plus de vingt pays. La semaine de sa sortie en Tunisie, Hedi affichait complet dans de nombreux cinémas. Il ne lui sera pas très difficile de passer les frontières. Son passage à la Berlinale a suscité l'intérêt des distributeurs et acheteurs étrangers. Pour Lina Chabaane, « c'est une grande satisfaction, car les fenêtres de diffusion des pays du Sud sont en en général très réduites ». Un constat, qui pourrait évoluer pour les films arabes, ces prochaines années.

Article réalisé en collaboration avec Cineuropa