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Zoukak, laboratoire culturel pour le théâtre libanais

Zoukak, laboratoire culturel pour le théâtre libanais

Zoukak, laboratoire culturel pour le théâtre libanais

Lorsque Lamia Abi Azar fait visiter les nouveaux locaux de la compagnie Zoukak à Beyrouth, elle virevolte de pièce en pièce, décrivant avec une impatience non dissimulée ce que chacune pourrait devenir. Tout y est encore en désordre, mais les plans sont nombreux pour cet espace. Ce bail est un aboutissement pour la compagnie, après 11 ans d'existence et de nombreuses luttes financières et civiques pour subsister. « Nous voulons faire de cet espace un lieu de travail pratique pour nous et pour la ville, pour les artistes et pour les gens qui ont besoin d'avoir un lieu de travail » annonce la co-fondatrice de Zoukak.

Il y a quelques mois encore, la troupe travaillait dans un petit appartement qu'elle finançait elle-même. Et pour le déménagement, tout le monde a mis la main à la pâte, car Zoukak fonctionne sans hiérarchie. Les membres sont tous des acteurs mais s'occupent également de la gestion des différents projets et du lieu. La compagnie qui se décrit comme un laboratoire fonctionne sur un modèle unique, que les membres du groupe ont façonné depuis sa création en 2006. « Nous sommes convaincus que le théâtre est un travail de groupe, pas un travail solitaire » explique la jeune femme. « Depuis 11 ans, nous avons créé un style Zoukak, que ce soit au niveau de l'écriture, du contenu ou du discours artistique de nos créations, tout en incorporant la variété de nos formations artistiques. »

 

« Le théâtre au Liban fait face à une réalité difficile aujourd'hui »

Les pièces de la compagnie sont écrites uniquement en langue arabe, un défi dans un pays où l'offre culturelle est souvent trilingue. « C’est essentiel pour nous de parler en arabe, car nous nous adressons à tous. Cela ne nous intéresse pas de faire un spectacle auquel une partie de la population n'aurait pas accès » commente Lamia. Pour pouvoir conserver ce style Zoukak sur la durée, et la liberté de création qui l'accompagne, les membres de la compagnie ne créent pas leurs pièces en fonctions des financements. L'argent, toujours à flux tendu, est trouvé principalement grâce à des subventions ou des activités parallèles rémunérées, toujours sous l'étiquette Zoukak. Une double casquette qui définit aussi le style de la troupe : interventions psychosociales, travail auprès d'ONG, ateliers... Zoukak est multiforme et présent sur tous les fronts, ce qui permet à ses membres de survivre financièrement, malgré la perte progressive de subventions dans l'art libanais.

Randa Sadaka, rédactrice en chef de la revue culturelle Pictoram dresse un portrait de la scène théâtrale libanaise : « Le théâtre au Liban fait face à une réalité difficile aujourd'hui, il n 'y a pas de financement, pas de structure à part l'Université Libanaise. De nombreuses salles de spectacles mettent la clé sous la porte, le pays connaît une instabilité structurelle, financière et politique. » Elle tempère tout de même : « Malgré tout cela, on assiste à l'émergence de jeunes dramaturges et acteurs qui ont une volonté de rendre la sphère scénique vivante au Liban. » Et parmi les exemples positifs du théâtre libanais, elle cite volontiers Zoukak, notamment pour son rôle social.

 

« Nous voulons ouvrir un espace de rencontre et de dialogues entre la compagnie et la nouvelle génération »

Car lorsque Zoukak pense « groupe », sa vision va au-delà des limites de sa troupe. Le travail se fait collectivement, avec les citoyens engagés indirectement dans le projet. « Notre travail artistique est contaminé par notre travail social. » annonce Lamia d'entrée de jeu. Le public n'est pas qu'un spectateur passif, il est aussi une source d'inspiration. Dernier projet en cours de Zoukak : une quinzaine de spectacles gratuits à destination des écoles et des universités. « Nous voulons ouvrir un espace de rencontre et de dialogues entre la compagnie et la nouvelle génération. C'est quelque chose qui nous a manqué lorsque nous étions jeunes, ça fait partie de notre mission aujourd’hui » commente Lamia. Le travail créatif ou psychosocial de la troupe peut inclure aussi bien des écoliers, que des prisonniers, des réfugiés, ou n'importe quelle population marginalisée au Liban.

La compagnie s'inspire de ces rencontres pour ses créations futures : « Nous partageons nos questionnements de manière pratique sur le terrain et nous retravaillons ensuite le contenu expressif et créatif des groupes pour nos spectacles. » Un travail à double sens donc, Zoukak apporte l'art aux citoyens qui à leur tour, apportent des idées à ses membres. Ainsi la compagnie a organisé ‘Zoukak festival’, un évènement qui permet d'embrasser toute la diversité culturelle de la société libanaise à travers des formes artistiques, de la culture arménienne aux pratiques culinaires et sociales éthiopiennes « qui n'ont pas suffisamment de place sur la scène culturelle élitiste beyrouthine » estime Lamia. « L’idéal serait de développer et de mettre côte à côte ces différentes entités culturelles, qui toutes ensemble n'en font qu'une et ainsi d'atteindre un public beaucoup plus large. »

 

« L'offre culturelle au Liban reste concentrée dans la capitale »

Autre stratégie, essentielle selon les membres de la compagnie pour rencontrer le public de la manière la plus diverse qu'il soit : sortir de Beyrouth. La pièce « Perform Autopsy » sur la guerre du Liban a été montrée dans plus de 78 lieux à travers le pays. « Nous tournons beaucoup partout au Liban, dans tous les contextes sociaux et culturels car ils sont nombreux » explique Lamia. La majeure partie de l'offre culturelle au Liban reste concentrée dans la capitale, et Zoukak veut inverser le mouvement et espère motiver ensuite les habitants des autres villes et villages à venir voir leurs créations quand elles sont jouées à Beyrouth. Le théâtre n'est pas qu'un spectacle selon les membres de Zoukak, il a un rôle social essentiel et global : « Nous essayons de vivre le théâtre de manière plus élargie que la petite boîte noire où nous faisons nos créations » résume Lamia.

 

« Le théâtre est un espace qui me permet de pratiquer ma citoyenneté »

Par ailleurs, la compagnie propose des ateliers de thérapie par le théâtre, avec le souhait toujours de s'ancrer dans la réalité sociale du Liban. Ces outils ont été développés dès la création de Zoukak en 2006, année de la guerre des 33 jours entre Israël et le Liban. « Le choix de nos thématiques ont toujours été en rapport avec notre besoin civique » précise Lamia. « Le théâtre libanais reflète les difficultés que traverse notre société. Le thème de la guerre est très abordé, et revient de plus en plus régulièrement depuis le conflit syrien » commente Randa Sadaka. « La religion et la question de l'appartenance est également très présente, tous ces thèmes sont des sujets qui agitent les citoyens. »

Un théâtre citoyen donc, en résonance avec les grands thèmes civiques libanais... « En tant que compagnie de théâtre, nous croyons que notre travail politique se joue à long terme, nous ne croyons pas devoir réagir spontanément » informe Lamia. L'actrice affirme vivre sa citoyenneté à travers le théâtre : « Aujourd’hui en tant que citoyenne mon Etat ne me donne rien, bien au contraire. Le théâtre est un espace qui me permet de pratiquer ma citoyenneté, car je n'ai pas d'autres options pour la pratiquer dans mon pays. Le théâtre permet de créer des espaces de rencontre et faire le choix du théâtre était un choix Politique avec un grand P, à la manière des grecs, c'est-à-dire par nécessité » livre Lamia.

Même si la participation de manière directe aux mouvements citoyens ne s’inscrit pas dans la mission de l’association, Zoukak a partagé l’une de ses pièces qui aborde le thème de la violence conjugale, un 8 mars il y a quelques années, jour des droits de la femme. « Il y a avait 8.000 personnes, le silence était total et on a senti la nécessité du théâtre au niveau de la vie civique » se souvient-elle avec émotion.

Les expérimentations de Zoukak sont donc nombreuses et constantes. La troupe travaille d'ores et déjà sur sa prochaine création et voit les choses en grand, c'est la première pièce de taille importante que ses membres voudraient faire tourner en dehors de Beyrouth. Avec toujours pour but, de faire changer les choses : « Avant, en province, on s'adaptait à des lieux qui n'étaient pas théâtraux » raconte Lamia. « Maintenant, nous voulons vraiment jouer dans les théâtres des régions. »

 

Contenu élaboré en partenariat avec Cineuropa